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Axinia Džurova

Missel grec illustré de l’école de Lucas de Buzău, découvert récemment (Liturgikon, Germ. Priv. Gr. 1)

(notes préliminaires)

* Džurova A. Missel grec illustré de l’école de Lucas de Buzău, découvert récemment (Liturgikon, Germ. Priv. Gr. 1) (notes préliminaires) // ΦΙΛΑΝΑΓΝΩΣΤΗΣ. Studi in onore di Marino Zorzi / A cura di Chryssa Maltezou, Peter Schreiner e Margherita Losacco. — Venezia, 2008. — P. 129–137.

        
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Apartir de la seconde moitié du XVIe siècle, après environ un siècle marqué par la prédominance de manuscrits grecs sobrement décorés, l’on observe une surproduction de manuscrits enluminés1. Il s’agit en  p. 129 
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général de livres liturgiques somptueusement décorés, fabriqués en série au Mont Athos et dans d’autres centres monastiques tels le Mont Sinaï, Alexandrie, la Crète, Chypre, les Météores, les Principautés Valaco-Moldaves, ainsi que dans les centres de copie slaves dans les Balkans et en Russie2.

1 Nous savons que les manuscripts créés aux XVe–XVIe siècles (jusqu’aux année 70) se distinguent par une décoration sobre de motifs végétaux, colorés en rouge: G. Patrinelis, Ἕλληνες ϰωδιϰογράϕοι τῶν χρόνων τῆς Ἀναγεννήσεως, «Ἐπετηρὶς τοῦ Μεσαιωνιϰοῦ Ἀρχείου», 8–9 (1958–1959), pp. 63–124: 63–65; P. Canart, Scribes grecs de la Renaissance. Additions et corrections aux répertoires de Vogel-Gardthausen et de Patrinélis, «Scriptorium», 17 (1963), pp. 56–82; M. Sakellariadou-Politi, Λειτουργιϰά χειρόγραϕα της Σχολής Μποζέου στην Κύπρο, «Ἐπετηρὶς Κέντρου Ἐπιστημονιϰῶν Ἐρευνῶν [Κύπρου]», 17 (1987–1988) [= Πρῶτο Διεϑνὲς Συμπόσιο Μεσαιωνιϰῆς Κυπριαϰῆς Παλαιογραϕίας. First International Symposium on Mediaeval Cypriot Palaeography, 3–5 September 1984], Λευϰωσία 1989, pp. 81–111. Les manuscrits confectionnés en Crète font exception à cette tendance: S. Rothe, Textillumination bei einigen Schreibern kretischer Herkunft im 15. Jahrhundert, dans Paleografia e codicologia greca, Atti del II Colloquio internazionale (Berlino-Wolfenbüttel, 17–21 ottobre 1983), a cura di D. HarlfingerG. Prato et al., Alessandria 1991, pp. 355–362, ainsi que les manuscrits liés à la production de la colonie grecque à Venise: Venezia centro di mediazione tra Oriente e Occidente (Secoli XV–XVI). Aspetti e problemi, Atti del II Convegno internazionale di storia della civiltà veneziana (Venezia, 3–6 ottobre 1963), a cura di H.-G. BeckM. ManoussacasA. Pertusi, Firenze 1977; A. Pertusi, L’umanesimo greco dalla fine del secolo XIV agli inizi del secolo XVI, dans Storia della cultura veneta. Dal primo Quattrocento al Concilio di Trento, a cura di G. ArnaldiM. Pastore Stocchi, III/1, Vicenza 1980, pp. 177–264; D. J. Geanakoplos, Greek Scholars in Venice: Studies in the Dissemination of Greek Learning from Byzantium to Western Europe, Cambridge, Mass. 1962; M. Chatzidakis, Les débuts de l’école crétoise et la question de l’école dite italogrecque, dans Μνημόσυνον Σοϕίας Ἀντωνιάδη, Βενετία 1974, pp. 169–211 [= Id., Études sur la peinture postbyzantine, London 1976, nr. IV]; M. Manoussacas, Aperçu d’une histoire de la colonie grecque orthodoxe de Venise, «Θησαυρίσματα», 19 (1982), pp. 7–30. A propos des changements intervenus dans la confection des manuscrits après les année 70 du XVIe siècle, voir: K. WeitzmannG. Galavaris, The Monastery of Saint Catherine at Mount Sinai. The Illuminated Greek Manuscripts, I, From the Ninth to the Twelfth Century, Princeton, NJ 1990; G. Galavaris, The Ornamentation of 15th/16th Century «Sinaitic» Manuscripts, dans The Greek Script in the 15th and 16th Centuries, Athens 2000, pp. 443–463; Id., At the Crossroads of Taste in the 17th Century: Sinai, Crete and Russia, dans ΜΟΣΧΟΒΙΑ. Проблемы византийской и новогреческой филологии. К 60-летию Б. Л. Фoнкичa, Москва 2001, pp. 147–154.
2 Chatzidakis, Les débuts de l’école crétoise, pp. 169–211; Б. Л. Фонкич, Греческо-русские культурные связи в XV–XVII вв. Греческие рукописи в России. Москва 1977; A. M. Weyl-Carr, Byzantine and Italians on Cyprus: Images from Art, «Dumbarton Oaks Papers», 51 (1995), pp. 339–357.

     Le milieu ayant stimulé la commande en série de manuscrits aussi richement décorés se situe en particulier dans les monastères, ce qui est attesté par les centres qu’on vient d’énumérer. Sur le plan thématique, ces manuscrits reprennent les liturgies de Jean Chrysostome, de Basile le Grand et de Grégoire de Décapolis, dont certains sont connus jusqu’au XIVe siècles sous la forme de rouleaux.

     Il est à observer dans ces manuscrits la modification de l’usage de l’initiale des siècles précédents, qui assume certaines fonctions des cycles illustratifs, réduits à l’époque post-byzantine, sous l’influence des incunables. Ces changements s’étendent également à son enluminure. Il s’agit en fait d’un changement d’équilibre entre l’illustration et l’initiale dans la période postbyzantine, cette dernière se chargeant de davantage de fonctions qu’elle n’en avait à l’époque oú elle cohabitait harmonieusement avec les cycles illustratifs dans le texte, ou avec les miniatures. Il convient de citer à cet égard le manuscrit de Strasbourg (Cod. Str. Gr. 1912/ex. 18), publié récemment par l’auteur de la présente communication, parallèlement avec quelques autres manuscrits, peu connus, qui s’en rapprochent au niveau de style, comme l’Euth. 4, provenant d’une collection privée à Athènes, le Cod. D. gr. 64 et le manuscrit de la Bibliothèque nationale de Sofia (NBKM gr. 41), étant tous apparus de la fin du XVIe jusqu’au début du XVIIIe siècle3.

3 A. Džurova, Curiosité, éclectisme iconographique ou la nature des anges (Cod. D. gr. 1912 [Ex. 18] de Strasbourg), «Annuaire du Centre de Recherches Slavo-Byzantines “Ivan Dujčev”», 10 (2002), pp. 57–71, ill. pp. 495–515; Ead., Nouveaux renseignements sur les manuscrits grecs enluminés de la Bibliothèque de Strasbourg, «Byzantinische Forschungen», 29 (2007), pp. 201–225.

     Ainsi que le font noter K. Weitzmann et G. Galavaris, les livres liturgiques sont particulièrement difficiles à illustrer4. On sait que la  p. 130 
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raison d’accompagner un texte de miniatures ne tenait pas tellement de sa popularité que de l’histoire que le texte narrait. Or, les textes qui contenaient des idées abstraites, comme c’est le cas des livres liturgiques, ne manquaient pas de poser des difficultés à leurs illustrateurs. Par conséquent, les illustrateurs s’efforçaient de surmonter cet obstacle, en s’arrêtant sur les passages auxquels correspondaient des scènes concrètes du rituel de la liturgie. C’est dans ces cas précisément que l’initiale jouait un rôle extrêmement important comme moyen d’expression artistique. Ainsi, en dehors de l’enluminure traditionnelle des auteurs des liturgies, les décorateurs des Missels, contenant les Liturgies des saints Jean Chrysostome, Basile le Grand et Grégoire de Décapolis, de l’époque postbyzantine, s’appuyant sur la tradition du Xe siècle, chargeaient l’initiale enluminée de fonctions remplies autrefois par l’illustration. De cette manière, l’initale fait visualiser le processus liturgique et, tout en indiquant des passages importants du texte, poursuit son développement autonome au niveau de la corrélation texte — image (langage verbal et visuel). D’ailleurs, cette tendance n’est pas nouvelle en ce qui concerne l’initiale et se manifeste avec le plus d’éclat dans les «initiales historiées» qu’on retrouve dans les manuscrits grecs dès les Xe–XIe siècles. Or, après le XVe siècle, quand les manuscrits liturgiques commencent à être confectionnés non pas seulement sur la commande de l’aristocratie ou du haut clergé, mais aussi à l’intention du moine, du prêtre officiant, ils incluent dans leur répértoire des motifs de l’Antiquité: des cariatides, des atlantes, des gorgones et des furies, des casques avec des sphinx, des médaillons, des figures féminines en buste, ainsi que des dragons, des lièvres, des animaux fantastiques, des oiseaux, des torches en forme de cor, des rameaux ailés, des rubans ondulés, des basiliscs (oiseau - reptile à la tête de serpent et aux griffes d’oiseau), etc. Ce riche répertoire laisse deviner des tentatives, fort réussies d’ailleurs, mais souvent difficiles à déchiffrer, de glorifier le monde du Seigneur et ses créatures, qui doivent être louées.

4 Galavaris, The Ornamentation, pp. 449–463; Id., At the Crossroads of Taste, pp. 147–153.

     Cette rupture de l’initiale avec sa fonction originelle consistant à indiquer les passages importants du texte, c’est-à-dire, à jouer un rôle exceptionnel dans la division graphique du texte, qui se voit doter de fonctions illustratives, n’est pas due uniquement à la réduction des  p. 131 
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manuscrits illustrés après 1453. Ce processus est lié également à l’élévation du rôle des livres liturgiques au sein de la population grecque et slave, au détriment de ceux qui, sortant du domaine de l’usage quotidien, étaient commandés par un milieu déterminé, notamment, les voïévodes valaco-moldaves, qui bénéficiaient du statut de vassaux à l’époque de l’Empire ottoman.

     C’est à la fin du XVIe siècle qu’on observe une production effrénée des Liturgies de Jean Chrysostome, de Basile le Grand et de Grégoire de Décapolis, due au changement de la situation dans les pays orthodoxes et de leur mode de vie, orienté vers la survie, vers la sauvegarde de la foi originelle par la fidélité à l’Orthodoxie, par l’assiduité à participer à la liturgie.

     Passons en revue les traits caractéristiques de ces manuscrits dans le cadre de leurs initiales enluminées. C’est dans leur cas justement qu’après le XVe siècle ou, plus exactement, dans les années 80 du XVIe siècle, l’on assiste à la tendance consistant à transformer l’initiale en illustration du texte abstrait dont l’usage quotidien était réservé aux moines et aux prêtres des paroisses. Et c’est précisément dans cette production en série qui s’est transformée rapidement en mode, s’étant étendue aux communautés orthodoxes, à commencer par la Russie et ensuite la Roumanie, les Balkans, le Mont Athos, Chypre, le Mont Sinaï, la Crète, Alexandrie, Antioche, que se manifeste la tendance à faire du livre liturgique un manuscrit, sinon identique aux codices luxueux de l’époque médio-byzantine, du moins susceptible d’évoquer la brillante culture calligraphique de Byzance. Ainsi, le peintre transforme l’initiale en une sorte d’illustration originale de certaines parties de la liturgie (voir: le Cod. Str. 18 de la Bibliothèque universitaire de Strasbourg, le P06 de Chypre, l’Euthychios No 4 d’Athènes, les codices 1047 et 2247 du mont Sinaï). Et ce qu’il importe surtout de noter, c’est que contrairement aux tendances similaires, s’étant manifestées à un degré moins élevé aux Xe–XIe siècles, il reprend l’usage de modèles plus anciens, en réanimant des formes antiques, qui facilitent l’assimilation du texte abstrait et de la chorégraphie liturgique. De cette manière l’initiale devient une sorte de commentaire imagé du texte liturgique qu’il renvoie à des actions concrètes dans le cadre de  p. 132 
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la liturgie et de son déroulement dans différentes parties du temple, à travers les différents objets et personnages, grâce auxquels elle est célébrée. A cet égard, la réapparition des manuscrits liturgiques somptueusement décorés dans la production des manuscrits grecs (respectivement slaves), après une interruption d’un siècle et demi, à la fin du XVIe siècle, doit être considérée comme l’évolution naturelle de certains éléments dans la décoration livresque (l’initiale) au détriment d’autres éléments (la miniature). Cette dernière n’apparaît que sporadiquement dans quelques exemplaires issus des ateliers des principautés danubiennes vassales et se trouve généralement liée à l’activité de Matthieu de Myra et de Lucas de Chypre (voir à cet égard le manuscrit de Princeton, Garrett 13)5.  p. 133 
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5 M. Beza, Urme românesti in rasâritul ortodox, Bucureşti 1939; G. Gront, Le Chypriote Lucas, évêque et métropolite de Valachie (1583–1629), dans Πραϰτιϰὰ τοῦ πρώτου διεϑνοῦς ϰυπρολογιϰοῦ συνεδρίου, Λευϰωσία 14–19 ἀπριλίου 1969, III/1, Λευϰωσία 1973, pp. 45–47, y compris la bibliographie. Pour plus de détails sur l’activité de Lucas, voir N. Iorga, La figuration des Evangélistes dans l’art roumain et l’école chypriote-valaque, «Buletinul Comissiunii Monumentelor Istorice», 26 (1933), pp. 1–4. A propos de Matthieu de Myra, voir D. Russo, Studii istorice greco-române, I, Bucureşti 1939, pp. 157-179; L. Politis, Un copiste éminent du XVIIe siècle: Matthieu, métropolite de Myra, dans Studia Codicologica, herausgegeben von K. Treu, Berlin 1977, pp. 375–394; Id., Un centre de calligraphie dans les principautés danubiennes au XVIIe siècle: Lucas de Buzău et son cercle, dans Tenth International Congress of Bibliophiles, Athens, 30 September — 6 October 1977. Edited by F. R. Walton, Athens 1979, pp. 1–11; voir aussi Id., Persistances byzantines dans l’écriture liturgique du XVIIe siècle, dans La paléographie grecque et byzantine. Paris, 21–25 octobre 1974, Paris 1977, pp. 371–381: 371–373, ainsi que l’article de P. Canart, Les écritures livresques chypriotes du milieu du XIe siècle au milieu du XIIIe et le style palestino-chypriote «epsilon», «Scrittura e civiltà», 5 (1981), pp. 17–76 et de Sakellariadou-Politi, Λειτουργιϰά χειρόγραϕα; O. Gratziou, Die dekorierten Handschriften des Schreibers Matthaios von Myra (1596–1624), Athènes 1982, p. 26; M. D. Zoumbouli, Luc de Buzău et les centres de copie de manuscrits grecs en Moldovalachie (XVIe–XVIIe siecles), Athènes 1995; M. Sakellariadou-Politi, Μαρϰιανὸς τλήμων ϰαὶ ἀμαϑὴς γραϕεὺς τῆς μονῆς Δουσίϰου, dans Ἀϕιέρωμα στὸν ϰαϑηγητὴ Λίνο Πολίτη, Θεσσαλονίϰη 1979, pp. 39–52; G. Vikan, The Walters Lectionary W. 535 (A. D. 1594) and the Revival of Deluxe Greek Manuscript Production after the Fall of Constantinople, dans The Byzantine Tradition after the Fall of Constantinople: Symposium. Papers, edited by J. J. Yiannias, Charlottesville and London 1991, pp. 181–286; voir aussi Id., Byzance après Byzance: Luke the Cypriot, Metropolitan of Hungro-Wallachia, dans The Byzantine Legacy in Eastern Europe, edited by L. Clucas, New York 1988, pp. 165–185: 165–166; Id., Byzance après Byzance: Greek Manuscript Production in Walachia, dans Abstracts of Papers, Second annual Byzantine studies conference, Nov. 1976, Univ. of Wisconsin., Madison 1976, pp. 32-33; A. Džurova, L’étincelle allumée à Chypre, dans ΦΙΛΕΛΛΗΝ. Studies in Honour of Robert Browning, edited by C. N. Constantinides et al., Venice 1996, pp. 75–90; А. Джyрoва, “Cлaвянcкият тип oрнaмeнт” в гръцкитe ръкoпиcи oт XVI–XVII вeк, dans Бългaрcкият XVI в. Cбoрник c дoклaди зa бългaрcкaтa oбщa и кyлтyрнa иcтoрия прeз XVI в., Coфия, 17–20.10.1994, Coфия 1996, pp. 699–714.

     Dans cet ordre d’idées, je voudrais ajouter à ce groupe de manuscrits liturgiques aux initiales somptueusement enluminées un manuscrit inédit d’Allemagne lequel, à l’instar des manuscrits que nous venons de citer, se distingue par une décoration aniconique, sans présenter de miniatures à pleine page des auteurs des trois liturgies, comme c’est le cas de la plupart des manuscrits liturgiques de la fin du XVIe au XVIIIe siècles.

     Le manuscrit d’Allemagne (Fig. 1–5) a été mis à ma disposition par un collectionneur privé, qui en a fait l’acquisition en 2004. Il contient 18 + I folios en papier de dimensions 150×210 mm; dimensions de la surface écrite: 110×135 mm. Le texte est transcrit en une colonne de 18 lignes, à l’encre noire, plus claire à certains endroits. L’écriture du texte principal est du type «bouclée», typique pour les manuscrits liturgiques, selon la définition de Paul Canart, remplacée par endroit par une cursive. Les lettres rubriquées sont en or et en argent (par endroits au cinabre ou à l’encre noire du texte). Elles évoquent les manuscrits confectionnés par Arsénios, Lucas de Chypre et Matthieu de Myra. Dans la même tradition, la colonne se termine souvent par un texte transcrit en or et en argent, ce qui est aussi le cas d’une partie des titres.

     Les cahiers, composés de huit folios, portent les traces d’une numérotation en lettres (ξ), ce qui signifie que le manuscrit comprenait à l’origine au moins 480 folios. La comparaison avec d’autres manuscrits au contenu similaire nous fait présumer que le fragment faisait partie des Liturgies de Jean Chrysostome et de Basile le Grand. En ce moment, le fragment contient des folios en désordre dont la remise en ordre fera l’objet d’une prochaine étude.

     Les initiales sont grosses, occupant par endroit deux tiers de la surface écrite. Elles y font irruption de sorte à supposer qu’elle sont l’oeuvre de celui qui a copié le texte (voir les initiale présentant Jean Chrysostome, les trois liturgistes, l’Incrédulité de Thomas, ainsi que celles qui traitent des motifs zoomorphes, ornithomorphes et  p. 134 
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végétaux). Dans les grandes lignes, le fragment présente une écriture élégante et 23 initiales enluminées. A un endroit, nous retrouvons les traces d’une grosse initiale découpée.

     Le filigrane (une ancre trifoliée surmontée d’une couronne) nous permet de rapporter le manuscrit à la fin du XVIe ou au début du XVIIe siècle.

     Les initiales présentent trois variétés:

     I. Initiales décoratives. Elles sont formées par des éléments végétaux, le plus souvent des ramifications fleuries entourant l’Arbre de Vie, symbolisant la béatitude céleste. Les fleurs rappellent des palmettes modifiées, présentées de face, et des trifolios. Dans ces initiales apparaît souvent l’oiseau et, en particulier, le paon, comme symbole du paradis.

     II. Initiales illustratives, dans lesquelles le rôle principal revient soit à l’auteur de la liturgie, soit au prêtre chargé de célébrer l’office, ce qui rend la relation avec le texte bien évidente. La première prière est récitée après le départ des catécumènes, c’est-à-dire elle marque le début du vrai mystère liturgique, dans lequel le personnage principal est le prêtre officiant. Ce personnage, étant la réminiscence de Jean Chrysostome, nous fait conclure que l’interchangeabilité entre le prêtre qui célèbre l’office et l’auteur de la liturgie est bien caractéristique pour ce groupe de manuscrits.

     Voyons l’initiale représentant les trois liturgistes, surmontée par un archange en buste, figurant le Christ bénissant. Cette scène correspond au début de la prière qui répand la bénédiction sur les ville, tout en illustrant la liturgie terrestre, célébrée par les prêtres et la Liturgie céleste, célébrée par le Christ Grand Hiérarque.

     Dans l’initiale E est insérée la main bénissante du prêtre, ce qui illustre les actes que doit accomplir le prêtre pendant la prière.

     III. Les plus nombreuses sont les initiales qui suggèrent l’interprétation symbolique de la liturgie elle-même. Dans certaines initiales, nous retrouvons deux serpents entrelacés, qui se transforment peu à peu en dragons ailés portant des couronnes. Elles marquent le début de la prière, avant la lecture de l’Evangile, qui révèle la portée de la connaissance de Dieu et la force des paroles évangéliques, en  p. 135 
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présentant le Christ comme «celui qui illumine les âmes». Ici probablement le dragon symbolise la sagesse, alors que la couronne suggère la présence majestueuse du Christ — le roi céleste par l’intermédiaire de l’Evangile. Certaines initiales illustrent la lutte entre le serpent et l’oiseau comme le symbole du saint Esprit (voir l’oiseau en train de mordre le serpent).

     Nous retrouvons aussi des initiales présentant la composition héraldique de l’aigle bicéphale, flanquée de deux tiges surmontées de tulipes fleuries. L’initiale illustre probablement la glorification de la mission salvatrice du Christ. Nous savons que, d’après l’interprétation d’Epiphanios de Chypre, l’aigle est le symbole du Saint Esprit, apparenté à un aigle volant. Cette interprétation est adoptée aussi par Pseudo-Germanos dans sa théorie mystique de la liturgie. Il s’agit peut-être de la communion dans le saint Esprit lors du mystère eucharistique.

     Outre la décoration élégante et l’écriture calligraphique, il convient d’attirer l’attention sur la gamme des couleurs d’une délicatesse exceptionnelle, variant de la combinaison du lilas pâle et du gris, du bleu ciel et du rouge jusqu’au bleu, au rouge, au vert et au jaune intenses. La sensation d’élégance et de finesse est engendrée également par l’emploi de l’argent dans les différentes rubriques, de l’or dans les vêtements, dont certains sont entièrement recouverts d’or. En revanche, les visages ne sont pas colorés et se distinguent par un dessin précis, de la couleur de l’encre.

     Ces données que nous venons d’exposer ont pour but d’attirer l’attention sur un manuscrit de plus provenant d’une collection privée, illustrant la propension à copier et à illustrer des livres liturgiques à l’époque postbyzantine. L’examen détaillé de l’écriture et de ses particularités, ainsi que les initiales figuratives enluminées en relation avec le texte, nous permettra à l’avenir de le localiser. Pour nous, il importe de souligner un détail par lequel nous terminons d’habitude nos publications au sujet de manuscrits inédits de l’époque postbyzantine, à savoir que la plupart d’entre eux se trouvent encore dans des collections privées. Or, leur publication permettra de se faire une idée plus précise du dernier style somptueux des livres liturgiques byzantins décorés et de  p. 136 
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leur rayonnement sur les manuscrits slaves. Style, dont la particularité consiste à charger l’initiale d’éléments illustratifs. Ce style illustre d’une part la visualisation de l’acte liturgique et de l’autre la diversité des procédés stylistiques dans la production manuscrite de l’époque postbyzantine, sans pour autant sortir du cadre de la raison d’être de cette culture orientée vers le texte jusqu’à la fin de son développement. Même dans les manuscrits qui évoquent les goûts d’une élite spirituelle déterminée, les innovations audacieuses au niveau des motifs et du style visent plutôt à transformer le manuscrit en objet de luxe pour lequel la culture orthodoxe a toujours éprouvé une sorte de piété, qu’à le faire sortir de la sphère de la liturgie à laquelle il est resté viscéralement lié.

     On pourrait dire en conclusion que ce nouveau fragment d’Allemagne qui, à notre avis, peut être attribué aux copistes des Principautés danubiennes et à l’école de Lucas de Buzău, illustre la séparation douloureuse de la tradition manuscrite orthodoxe d’avec elle-même, d’avec la Parole de Dieu, écrite à la main, et ses réserves envers le livre imprimé à grand tirage, qui prédomine après le XVe siècle en Europe catholique. Cet état de choses aboutit à des inversions déterminées dans l’évolution du codex postbyzantin et, plus particulièrement, de celui destiné à l’usage liturgique, à un certain conservatisme, à une tendance au mimétisme dans leur confection, comme la coloration en pourpre de certains folios. Tous ces facteurs déterminent l’imitation des exemplaires luxueux des siècles antérieurs, malgré les innovations qui s’infiltrent au niveau du répertoire et du style dans les «initiales historiées» aux fonctions nouvelles, traitant surtout des sujets liturgiques6.  p. 137 
  
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6 Politis, Persistances byzantines, pp. 1–11; А. Джyрoва, Уникaлнитe кoдeкcи в Byzance après Byzance (Suppl. D. gr. 1 oт XVII в., нeизвecтeн ръкoпиc oцвeтeн в пyрпyр oт Цeнтърa зa cлaвянo-визaнтийcки прoyчвaния “Ивaн Дyйчeв — прeдвaритeлни бeлeжки”), dans Cбoрник дoклaди oт Meждyнaрoднaтa кoнфeрeнция “Bизaнтйcкoтo кyлтyрнo нacлeдcтвo нa Бaлкaнитe”, Плoвдив 6–8 ceптeмври 2001, pp. 332–342; A. Džurova, Les codices unici dans Byzance après Byzance. Suppl. D. gr. 1 du XVIIe siècle. Manuscrit inédit teint en pourpre du Centre de Recherches Slavo-Byzantines “Ivan Dujčev”. (Notes préliminaires), «Palaeoslavica», 10 (2002) [=Χρυσαὶ πύλαι: Essays Presented to Ihor Ševčenko on His Eightieth Birthday by his Colleagues and Students, edited by P. Schreiner and O. Strakhov], pp. 65–78.